Il n’y a pas de preuve scientifique en faveur de la numérisation massive de l’éducation. Au contraire, la balance bénéfice/risque du numérique éducatif penche en faveur d’un arrêt de la numérisation de l’École et de l’Université.
Le marché mondial des EdTech est valorisé à 254.80 milliards de dollars en 2021, estimé à 605.40 milliards de dollars en 2027 (Business Review 2022 - lien externe). Pour comparaison, les industriels du tabac, un marché estimé à 873.2 milliards d’euros en 2022 (Skyquest 2024 - lien externe), ont mis en place des stratégies pour créer du doute scientifique qui ont retardé de plusieurs décennies les indispensables mesures sanitaires. Nous sommes dans la même situation avec le numérique éducatif : BigTech et EdTech déploient des stratégies d’influence via le financement d’associations, d'études scientifiques de qualité discutable, d’actions de formation et d’accompagnement de terrain. Les gouvernements successifs sont complices au nom de l’innovation, de la compétitivité et de la croissance : la très sainte Startup Nation.
L’hégémonie des BigTech crée une dépendance géostratégique aux États-Unis bien documentée, qu’il est nécessaire de limiter autant que possible. Les startups, en revanche, constituent une maladaptation économique moins documentée. Maladaptation, d’abord parce que leur taux d’échec est extrêmement élevé, entre 60 et 90% selon les sources. Ensuite, parce que celles qui réussissent sont trop souvent rachetées par des entreprises états-uniennes, déplacent leur siège aux États-Unis, ou entrent en bourse au NASDAQ. C’est un gâchis d’argent public qui accroît nos dépendances et finance l’économie américaine. Il faut se débarrasser des GAFAM et en finir avec les EdTech.
Il ne s’agit toutefois pas de dénumériser totalement, mais plutôt de numériser démocratiquement, en se posant la question des justes fins et de la juste place - lien externe. Pour les dispositifs numériques éducatifs d’intérêt général, il faut s’appuyer sur des logiciels libres, avec une articulation entre service public et structures de l’économie sociale et solidaire. Cela favorise notre autonomie stratégique française et européenne tout en créant de l’emploi durable et de qualité. Il faut, pour y parvenir, un changement de posture au niveau des collectivités : financer des logiciels privatifs et des tablettes, ce n’est pas moderne, c’est un désastre écologique, social, économique et sanitaire. Financer des logiciels libres et de la longévité matérielle, ça, c’est moderne.
Et si l’on veut une éducation de qualité, la solution n’est pas le numérique. La solution, ce sont les enseignants et enseignantes. Il faut davantage de postes. Il faut des salaires beaucoup plus élevés (Dolton, Marcenaro-Gutierrez 2011). Il faut des bâtiments chauds en hiver, frais en été. Il faut des personnes libres d’utiliser des dispositifs numériques, ou pas. Et il faut former massivement à la pédagogie, parce qu’il y a un phénomène dont les bénéfices sont prouvés et significatifs : l’effet-enseignant ou effet-maître (cf notamment Cusset 2011). Un bon enseignant ou une bonne enseignante peut compenser quasiment entièrement les déterminismes sociaux. Qu’il s’agisse de pédagogie de la résonance (Rosa 2023), d’approche par compétences (Poumay, Tardif, Georges 2017), d’enseignement explicite (Gauthier, Bissonnette, Richard 2013), d’apprentissage visible (Hattie 2009) ou de nombreuses autres pratiques, la formation à la pédagogie est probablement la meilleure stratégie, tant pour favoriser l’excellence que pour réduire les inégalités.
Nous, enseignants et enseignantes, devons relever la tête : nous sommes des remparts contre la barbarie néolibérale. Nous sommes des résistants et résistantes face à la numérisation forcée du monde. Nous ne sommes ni ringards, ni dépassés, ni rétifs au changement, ni des mammouths à dégraisser. Nous sommes, et nous resterons, les hussards noirs de la République.