Il faut dénumériser l’école
Faut-il accélérer ou ralentir le numérique à l’école ? Pourquoi ?
Enquête sur le communiqué demandant de développer l’éducation au numérique dès l’école maternelle
Faut-il accélérer ou ralentir le numérique à l’école ? Pourquoi ?
Suite à la publication de l’article ci-dessus, au sujet du communiqué porté par la CNIL et le collectif Educnum - lien externe, des dialogues ont eu lieu sur LinkedIn avec diverses personnes. Cet article poursuit l’investigation afin de mieux comprendre les positions et les enjeux.
Si l'on sait bien qui a signé le texte, on ne sait toujours pas qui l'a écrit. Un petit peu d'OSINT permet d'en savoir un peu plus. En examinant les metadata du document PDF du communiqué, on découvre cette information sur l’auteure du document : Carina CHATAIN MARCEL. Mme Chatain-Marcel est responsable de l'éducation au numérique à la CNIL. Il semble donc que le document émane de la CNIL, qui aurait ensuite rassemblé des organisations signataires parmi le collectif Educnum afin d’interpeler le Ministre Gabriel Attal.
Là, pour émettre des hypothèses, il faut du contexte. D’abord, le discours de Gabriel Attal le 20 juillet 2023.
21:16 Oui, j’ai été à l’école privée. Je n’ai pas à renier ou à m’excuser pour ce choix qu’ont fait mes parents à l’époque, comme des millions de parents le font chaque année. Et je ne crois pas que le combat doit être de critiquer les parents qui font ce choix. Le combat, c’est au contraire de garantir que l’école, toute l’école, peut apporter aux parents, à tous les parents, l’essentiel de ce qu’ils attendent pour leurs enfants.
23:50 À vous, familles de classe moyenne, qui constituez une grande partie de notre pays et qui attendez tant de l’école que vous financez par votre travail, je sais que vous perdez parfois confiance. Vous qui pensez souvent être les oubliés des politiques, je peux vous dire que notre action est aussi pour vous. C’est à vous aussi que nous devons nous adresser. C’est aussi pour vous que nous devons toujours renforcer davantage nos services publics, au premier rang desquels, l’école de la République.
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C’est désormais assumé : il y a l’école des privilégiés, privée, l’école des classes moyennes, publique, et c’est très bien comme ça. Cela n’a pas échappé aux enseignants et enseignantes, qui voient là une nouvelle étape dans la privatisation de l’école publique.
Examinons également le rapport titré Le numérique pour réussir dès l’école primaire, publié en 2016 par l’Institut Montaigne, pour lequel Mme Chatain-Marcel a été auditionnée parmi de nombreuses parties prenantes. Page 106, on peut lire que “L’apprentissage des 2-11 ans repose désormais sur une logique étendue qui dépasse le cadre scolaire. Le temps passé hors de l’école, ainsi que son optimisation par le numérique, est à considérer. Nous l’avons vu, un enfant de 10 ans passe plus de temps devant des écrans que sur les bancs de l’école. Nous parlons effectivement d’environ 2 heures 50 par jour, soit plus de 1 000 heures par an, alors qu’une année scolaire en primaire s’étend sur 864 heures. Capter ne serait-ce que 15 % de ce temps d’écran par des contenus éducatifs appropriés permettrait d’ajouter environ 3 heures d’apprentissage par semaine. [...] Il s’agit précisément du temps d’engagement individuel qu’il manque aujourd’hui aux élèves de CP pour l’apprentissage de la lecture. Pour augmenter le temps d’engagement hebdomadaire des enfants, l’école doit tirer profit du numérique”
Nous voyons là se dégager une logique. Les enfants sont très exposés à des écrans. Puisque c’est un fait, et puisque l’on n’envisage même pas d’agir contre cette situation (page 12, “Il faut répondre aux arguments de ceux qui rejettent ces évolutions... que rien ne pourra d’ailleurs arrêter.”), le rapport préconise de remplacer 15% du temps d’écran par du temps “éducatif”, afin de pallier les manques de l’école publique. Quant aux riches, ils ne sont pas concernés, leurs enfants iront dans des écoles privées et leurs parents les protègeront des écrans à la maison (c’est l’avantage des moyennes, on y dissimule les classes sociales).
Creusons encore un peu, pages 19 et 20, pour comprendre les motivations profondes : “À quatre ans, un enfant issu d’un milieu social défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu favorisé. Du point de vue cognitif, ces enfants risquent de souffrir d’importants déficits notamment dans le champ du langage. Un enfant qui était en difficulté à l’entrée au CP n’a presque aucune chance de maîtriser les compétences fondamentales ; ainsi, près 80 % des 140 000 élèves qui, chaque année, quittent le système scolaire français sans diplôme étaient déjà en difficulté à l’école élémentaire.” S’ensuit l’énonciation suivante, terriblement utilitariste : “Pour mémoire, les coûts associés au décrochage d’un jeune en France, cumulés tout au long de sa vie, sont estimés à 230 000 €, « pour l’État, c’est près de 30 milliards d’euros de dette contractée chaque année »”. Le raisonnement continue, aussi horrible que rigoureux : ”De nombreux travaux signalent que la stimulation cognitive, dès la petite enfance – entre 0 et 5 ans –, a non seulement un impact positif notable sur le niveau d’étude et l’insertion professionnelle, mais se révèle aussi plus efficiente et moins coûteuse que la plupart des programmes consacrés aux enfants plus âgés.” Page 22, ”dès le premier degré, le numérique peut contribuer à la rénovation de l’école et à l’amélioration de ses performances : Dès les cycles 1 et 2 (maternelle, CP, CE1 et CE2), le numérique est un formidable outil pour augmenter le temps d’apprentissage réellement disponible pour les enseignants.”
En résumé, l’échec scolaire des enfants est un coût pour l’économie du pays, qui crée une dette. Pour lutter contre l’échec scolaire, afin de diminuer ce coût et de résorber cette dette, il faut agir entre 0 et 5 ans. Le numérique permet d’améliorer la performance de l’école en augmentant le temps disponible pour les enseignants. Concrètement, cela veut dire laisser les enseignants de l’école publique en sous-effectif et ajouter des dispositifs numériques, dans le but d’avoir des pauvres qui coûtent moins cher au pays.
L’Institut Montaigne est identifié par l’Observatoire des Multinationales dans le rapport GAFAM Nation comme le “plus emblématique des think tanks français” au service des multinationales du numérique. Il compte parmi ses financeurs Amazon, Doctolib, Google, Microsoft, ou encore Uber. Le think tank Renaissance Numérique est lui aussi épinglé dans ce rapport, comptant Google, Facebook, Microsoft ou Apple parmi ses adhérents. L’association Numeum est également citée.
Sans qu’ils soient mentionnés dans ce rapport, on peut citer les mécènes de l’Association e-enfance (Google, Meta, TikTok, Roblox, Snapchat, X ex-Twitter...), les partenaires de la Fondation pour l’enfance (Google, mais aussi Publicis et JCDecaux) et les membres de Point de contact (Microsoft, Facebook, Tiktok, X ex-Twitter, Google, Snapchat...).
Le rapport indique en page 3 que “Les GAFAM ont multiplié les partenariats financiers avec des think tanks, des grands médias ou des institutions de recherche en France, ce qui leur assure une influence considérable sur la fabrique de l’opinion et le débat public.” Pages 21 et 22, on peut lire : “Outre leur pénétration dans les universités, les GAFAM ont lancé leurs propres programmes d’éducation, souvent destinés aux populations délaissées par le système. En 2014, Microsoft a présenté son programme YouthPark. Il s’agit d’un plan sur trois ans visant à attirer vers la filière numérique 300000 jeunes, pour priorité des résidents des quartiers défavorisés. [...] De son côté Amazon a lancé son programme Amazon Future Engineer en France, qui consiste en des interventions dans des établissements publics depuis l’école primaire jusqu’à l’enseignement supérieur pour sensibiliser au numérique et à ses métiers. À cette occasion, Amazon fournit aux enseignants des produits connectés et des ressources pédagogiques, comme complément des programmes de l’Éducation nationale.” Ainsi, la récupération d’élèves décrocheurs constitue un vivier de travailleurs du numérique à bas prix, sans culture générale, politique, sociologique ou encore moins syndicale.
Un peu plus loin, page 24, on lit sous le titre “L’Éducation nationale, terrain de chasse” les lignes suivantes : “L’Éducation nationale est une cible de choix pour les GAFAM. Dès 2015, un partenariat très controversé a été conclu entre Microsoft et l’Éducation nationale pour développer le numérique à l’école. En 2020, l’État a à nouveau choisi Microsoft suite à un appel d’offres à 8,3 milliards d’euros pour équiper l’Éducation nationale et l’enseignement supérieur. La procédure de cet appel d’offre a été critiquée et l’association Anticor a déposé une plainte devant le parquet national financier pour des soupçons de favoritisme.” La numérisation de l’école est une manne.
Sans établir aucune preuve, on peut néanmoins observer d’importants conflits d’intérêts d’une partie des organisations signataires, qui comptent parmi leurs adhérents et financeurs des entreprises qui bénéficient déjà grandement du numérique éducatif. Comme le décrit le rapport de l’Observatoire des multinationales, les GAFAM tentent de stimuler le déploiement de davantage de dispositifs numériques, tant hardware que software, au sein de l’Éducation Nationale, en utilisant des organisations associatives pour façonner l’opinion publique.
Renaissance Numérique se défend de ce conflit d’intérêt, par la voix de son délégué général. Pourtant, parmi la quarantaine d’adhérents et en respectant leurs règles internes de 7% et 20.000 € maximum par adhérent, il suffirait que les 15 adhérents du collège Entreprises donnent 20.000 € pour couvrir 300.000 des 308.010 € de cotisations 2022. Ce collège représenterait alors 97% des cotisations, ce qui rendrait l’indépendance très incertaine. Il suffirait de consulter le tableau des cotisations par adhérents pour vérifier l’équilibre des pouvoirs, mais je ne l’ai malheureusement pas trouvé sur le site.
Terminons le chapitre sur les possibles conflits d’intérêts, et intéressons-nous à la réalité opérationnelle de ce communiqué.
GAFAM NATION La toile d’influence des géants du web en France (pdf) - lien externe
Partenaires et soutiens - e-enfance - lien externe
Nos partenaires - Fondation enfance - lien externe
Point de contact - lien externe
Qui sommes-nous ? - Renaissance Numérique - lien externe
Le communiqué ne contient pas de proposition concrète, du fait notamment de son format très court et de l’absence d’annexes. Le document de l’Institut Montaigne, en revanche, est beaucoup plus prolixe, à commencer par l’application La course aux nombres, co-développée par le chercheur Stanislas Dehaene avec une start-up, qui permet aux enfants de 3-6 ans d’apprendre à compter. Le cadre théorique, évoqué pages 65 et 66, consiste à considérer le numérique comme un adjuvant à l’enseignant afin de lutter contre l’échec scolaire. On n’ajoute pas d’enseignants, alors que notre taux d’encadrement des 3-5 ans est l’un des pires en Europe, on leur adjoint des écrans. Le numérique comme savoir fondamental et objet de réflexion est préconisé à partir du CM1, “une fois que la maîtrise des savoirs fondamentaux : parler, lire, écrire et compter, est assurée”.
Les pages suivantes font tomber le masque. Page 71, “À Élancourt, environ 2 200 tablettes ont été distribuées aux enseignants et à leurs élèves, pour un investissement total de 2 millions d’euros sur 10 ans”. Page 72, “100 % des élèves et enseignants équipés de tablettes”. Page 74, “A priori, cette méthode ne nécessite pas d’outils numériques. Cependant, à l’aide d’un jeu de sept tablettes par classe, ces méthodes se voient augmentées, et plus facilement généralisables. Les tablettes numériques constituent alors l’un des moyens nécessaires au déploiement à plus grande échelle.” Page 81, “une école fondée par des acteurs privés ; 100 % des élèves équipés de tablettes”. Page 89, le tableau de synthèse des options d’équipement des élèves, de la maternelle au CM2, et les coûts afférents. Les coûts des uns (services publics), étant, bien sûr, le chiffre d’affaire des autres (entreprises privées).
Une fois les fabricants de hardware, de système d’exploitation et d’antivirus servis, régalons les startups EdTech, page 97 : “Prescrire des applications ludo-éducatives pour le temps hors école. Lancer un appel à projet d’1 million d’euros à destination des EdTech pour la création de 3 à 5 applications destinées à tirer parti du temps hors école des élèves des écoles pilotes.” Tout cela piloté par une fondation dotée de 100 millions d’euros d’argent public. Une fois les initiatives financées par de l’argent public, verrouiller les rentes par “un guide officiel référençant les ressources et dispositifs numériques labellisés”. Pas une seule fois, on ne trouve de préconisation sur l’open source ou le logiciel libre, par exemple selon la logique “public money, public code”.
Et déployons en ciblant d’abord les plus fragiles : “équiper progressivement les classes des écoles élémentaires (jeu de 8 tablettes pour 3 classes dans un premier temps) dans le but d’inclure dans les enseignements les ressources, outils et dispositifs labellisés, en se concentrant d’abord sur la grande section, le CP et le CE1.” Après cette première phase, “monter en puissance progressivement en équipant en priorité les territoires où se concentre l’échec scolaire.” Pourtant, page 49, un encadré insiste sur le fait que c’est l’encadrement qui est clé, et que le taux d’encadrement en France est beaucoup trop bas. On pourrait s’attendre à ce que le rapport préconise plus d’enseignants, mais non. Page 50, après évocation des travaux de György Gergely, le texte précise comme à contre-cœur que “Ces résultats tendraient à rejeter toute intervention d’un numérique comme outil pédagogique” et page 39 “La littérature existante ne permet pas de conclure, de manière générale, à un effet positif des TICE sur les apprentissages”. On pourrait s’attendre à ce que le texte questionne le bien-fondé du numérique éducatif, mais non. Page 110, “Les systèmes les plus performants sont la preuve qu’in fine, c’est le niveau de compétence des enseignants qui fait la qualité d’un système scolaire”. On pourrait s’attendre à ce que le texte préconise de former davantage les enseignants à la pédagogie plutôt qu’au numérique, mais non.
À noter, avec une impression nettement plus positive, un papier publié par l’Institut Montaigne en 2022, titré Pour une meilleure affectation des enseignants à l’école primaire, au constat très clair : “La qualité du travail de l'enseignant - l'effet maître ou effet enseignant - est susceptible de contrebalancer en grande partie voire intégralement le poids de l’origine sociale des élèves.” Puis l’article cite en exemple la Corée du Sud, aux performances très élevées, où “les élèves les plus en difficulté sont quasiment certains d'avoir les meilleurs enseignants”, avant de préconiser une revalorisation des professeurs des écoles, une meilleure formation et une affectation des meilleurs enseignants et enseignants aux zones les plus défavorisées.
Je me demandais ce que la CNIL venait faire dans ce texte, j’étais loin de me douter qu’elle en était peut-être à l’origine. J’avais très envie de savoir, en tant que citoyen, en quoi ce communiqué s’inscrivait dans sa mission de régulateur des données personnelles. Une personne travaillant à la CNIL a eu la gentillesse d’accepter d’en discuter avec moi lors d’un entretien téléphonique mardi 22 août 2023, avant de se rétracter et de me demander de ne pas divulguer son identité après relecture de ce papier. Appelons cette personne X. Qu’en ressort-il ?
D’abord, les propositions concrètes d’éducation au numérique en maternelle sans écran sont effectivement très vagues : quelques activités avec des robots pour apprendre l’algorithmique, dont l’efficacité pédagogique n’est pas prouvée scientifiquement. X affirme la position de la CNIL : pas d’écran avant 3 ans, comme le préconise Serge Tisseron. En revanche, entre 3 et 6 ans, la position n’est pas de protéger les enfants des écrans mais plutôt d’essayer de protéger les enfants des usages problématiques des écrans et de les éduquer aux bons usages. Je fais remarquer que c'est là le rôle et la responsabilité des parents. La position défendue est qualifiée de réaliste et pragmatique par X, au motif qu’on ne peut de toutes façons pas empêcher l'utilisation des écrans par les enfants, ni contraindre les parents. Donc oui, il s’agit bien de mettre en place des activités pédagogiques sur des écrans en maternelle, en choisissant les applications utilisées. Pour la CNIL, cela fait partie d’un ensemble d’actions d’éducation et de sensibilisation, qui visent aussi bien les enfants, les parents, que les enseignants.
Je partage mon impression d’une position de la CNIL qui profite à l’industrie du numérique et pas aux élèves, et d’un service public en état de soumission. X s’oppose à cette lecture, en arguant des nombreuses actions de la CNIL pour cadrer l’industrie et sanctionner ses abus. Je fais ensuite référence au document de l’Institut Montaigne et au plan 2-11 ans avec équipement total, 1 tablette par enfant. X affirme son désaccord avec cette proposition, qui est celle de l’Institut, dont le positionnement très libéral n’est pas celui de la CNIL.
J’évoque alors les problématiques de pédocriminalité, et compare l’éducation au numérique des enfants de 3 à 6 ans à la distribution de préservatifs pour les protéger des violences sexuelles : ce n’est pas le bon combat. X répond que ça les protègerait au moins des MST. Je souligne que cette rhétorique est celle utilisée par les défenseurs des armes à feu aux États-Unis : c’est inévitable, on ne peut pas interdire, il faut éduquer. Je mentionne l’interdiction récente des violences éducatives et demande pourquoi la CNIL ne demande pas la pénalisation de l’usage des dispositifs numériques pour les enfants. X répond qu’on ne peut pas mettre un policier dans chaque famille, et que la pénalisation n’est donc pas réaliste. J’objecte que la pénalisation permettrait des signalements afin d’intervenir dans des cas de maltraitance numérique.
X prend acte de réactions diverses suite à ce communiqué, et affirme son souhait de nourrir le dialogue avec toutes les parties prenantes, en vue de construire un faisceau de solutions et d’actions respectant à la fois les droits de l’enfant et la nécessité de le protéger. Pour la CNIL, le plaidoyer porté par ce communiqué s’inscrit dans le cadre des actions de sensibilisation et d’éducation au numérique.
Il n’y a pas de lien avéré entre le communiqué et les hypothèses que j’ai proposées dans ce texte, c’est une exploration inquiète. Alors, suis-je en train de persévérer dans mon erreur, et d’attribuer à ce communiqué des intentions qu’il n’a pas, ou d’inventer des risques imaginaires ?
Le texte du communiqué vise à ce que “l’éducation au numérique soit inscrite dans les programmes scolaires dès l’école maternelle”. Cela recouvre en fait deux réalités différentes : le numérique éducatif d’une part, et l’éducation au numérique d’autre part.
Le numérique éducatif consiste à utiliser des dispositifs éducatifs pour mieux enseigner et mieux apprendre, c’est le marché des EdTech. Pourtant, comme le synthétise Louis Derrac, les résultats des dispositifs numériques éducatifs sont parfois modestes, souvent neutres, parfois négatifs. Cette approche n'est pas clairement validée par la recherche scientifique et relève d’une manipulation de l’opinion au service des intérêts financiers des acteurs du secteur. Cela s’inscrit d’ailleurs à contre-courant de décisions récentes, suédoises, québécoises et européennes, qui vont dans le sens d’une dénumérisation de l’école après avoir constaté tant les dégâts causés par le numérique que sa relative inefficacité. Le communiqué prend grand soin de ne pas promouvoir le numérique éducatif en tant que tel et de ne pas citer le mot écran.
L’éducation au numérique consiste à encapaciter les personnes et à construire un regard critique sur le numérique. L’enseignement moral et civique (EMC) commence au CP, L’éducation aux médias et à l'information (EMI) commence en 5e, on peut donc raisonnablement conclure que le communiqué ne parle pas du regard critique en maternelle. Il s’agit donc d’augmenter les capacités numériques des enfants de 3 à 6 ans. Et pour ce faire, si ce texte devait être suivi d’effet, il me semble très probable qu’il s’agirait d’équiper massivement en tablettes les classes et les élèves, comme cela a pu se produire à Poitiers, dans l’école maternelle Les Minimes.
La position donnée au numérique devrait dépendre de nos choix collectifs, il n’y a là aucune fatalité. Ce n’est pas le cas, nous le constatons chaque jour. L’État et de trop nombreuses entreprises nous imposent une marche forcée vers toujours plus de numérique. Malheureusement, avec ce communiqué, la CNIL et les signataires jouent le jeu de cette numérisation autoritaire du monde.
Qu’il s’agisse d’utiliser le numérique pour diminuer le coût social des pauvres ou d’améliorer les compétences numériques des enfants de 3 ans, je m’oppose vigoureusement à ces perspectives pour des raisons éthiques et pragmatiques. Éthiques, parce que je préfère que mon fils de 5 ans apprenne à pailler des fraises à l’école maternelle plutôt que de découvrir l’algorithmique. Pragmatiques, parce que nous vivons à l’anthropocène, et que les fraises se mangent, contrairement aux algorithmes.
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