Capitalisme & communisme : deux échecs du vingtième siècle

Et là, tout à coup, au détour d’un échange sur LinkedIn, je prends conscience d’un problème surprenant : il y a des gens qui n’ont pas compris que les deux systèmes politiques majeurs du siècle dernier ont échoué ! Pourquoi ? Comment ? Essayons d’y voir plus clair.

Une mort discrète

Le vingtième siècle a vu s'affronter, plus ou moins froidement, les blocs communistes et capitalistes. La chute du mur de Berlin en 1989 a été un marqueur spectaculaire de l'échec communiste, ce qui explique que tout le monde l'ait perçu.

Rien de tel côté capitaliste : le réchauffement climatique, le creusement des inégalités, la sixième extinction de masse… l’entrée dans l’anthropocène s’est faite sans tambour ni trompette.

Au point qu'une partie de la population n'a pas fait le lien entre ces catastrophes et l'échec du capitalisme, échec accéléré par la phase néo-libérale initiée au début des années 80 par Reagan et Thatcher, puis par la phase techno-financière qui a accompagné le développement du Web. Les crises de plus en plus graves, notamment la bulle internet en 2000, les subprimes en 2008, ou la pandémie de coronavirus en 2020 sont perçus par nos malcomprenants comme des aléas malheureux de l'existence, pas comme les symptômes d'un capitalisme ayant implosé. Le capitalisme néo-libéral a fait la preuve de sa toxicité intrinsèque. Comme le communisme, c'est une doctrine idéologiquement morte, mais elle bouge encore.

La droite impensante ?

Il se trouve, dans mon expérience personnelle, qu'une partie non négligeable des gens qui n'ont pas réalisé ce double échec est de droite. Comment expliquer cet impensé ? Peut-être faut-il revenir à un article de l'Express de 1954, suite à la publication des "Mandarins" par Simone de Beauvoir, titré "À la recherche des intellectuels de droite", qui constatait la faiblesse de la pensée de droite. Les choses ont-elles changé depuis ? Philippe Bilger, qu'on ne peut pas qualifier de gauchiste, concluait en 2018 :

Sans doute doit-on admettre qu’il n’y a pas à proprement parler d’intellectuels de droite. Si elle n’est plus la plus bête du monde — il y a de la concurrence ! — , il lui manque des éclaireurs de l’esprit, des inventeurs au point que parfois elle est condamnée à chercher chez d’autres — par exemple Alain Finkielkraut — qui ne sont pas naturellement de sa famille les théorisations les plus brillantes de ce qu’elle devrait être.

Mais si nous ne trouvons pas d'intellectuels de droite, alors peut-être avons-nous une explication à l'incompréhension de l'échec du système capitaliste : peut-être qu'à droite, on ne comprend pas bien parce qu'on ne pense pas beaucoup. Ou alors très superficiellement, sur le mode de l'invective violente à la Zemmour, ou de la leçon arrogante à la Sarkozy. Mais de réelle pensée, d'une pensée sourcée, structurée, dont les hypothèses sont testées sur le plan expérimental, point.

La droite l'est jusque dans ses bottes, s'interdisant au nom du sacro-saint pragmatisme de "s'abandonner à la volupté abstraite et en quelque sorte désincarnée de l'idée" (Bilger). En somme, un intellectuel assis va moins loin qu'un con qui marche. Qu'aurait dit Audiard d'un intellectuel qui se lève, et marche ? Et d'un con qui ouvre un livre, et pense ?

Vers un système politique bio-mimétique

Une fois le constat de double échec posé, qu'en tirons-nous pour le présent et le futur ? D'abord, qu'il ne faut pas nous entêter en faisant "toujours plus de la même chose", comme l'écrivait Paul Watzlawick dans Comment réussir à échouer en 1986. Il faut mettre en place un système nouveau, différent dans son approche. Et là, je crois que la Nature nous vient en aide...

Le bio-mimétisme est une approche consistant à apprendre des systèmes naturels. La caractéristique qui m'intéresse ici est la relation entre la diversité d'un écosystème et sa robustesse. Quand un écosystème est riche de nombreuses espèces en interaction, il est solide. Quand il s'appauvrit, il se fragilise, jusqu'à éventuellement s'auto-détruire. L'illustration classique est l'introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria, qui a abouti à la disparition d'une grande part des espèces endémiques, jusqu'à mettre en péril la perche du Nil elle-même. En cela, il me semble que le vingtième siècle politique a été un long et tragique appauvrissement. Il est temps de dépasser cette immaturité, et de nous diriger vers un système politique pluriel, imitant en cela les écosystèmes stables.

Trois pans fondamentaux d’un système politique bio-mimétique: l’état, le marché et les communs

En cela, nous passons d'une confrontation duelle (le passé) tirant vers un monopole (l'état se faisant écraser par le marché) à une coopération plurielle (le futur). Ces 3 pans ne sont pas limitatifs, d'autres peuvent s'ajouter (l'ESS, le monde associatif, une forme de fédéralisme, certaines parties de l'économie informelle...), l'important étant qu'aucun ne devienne prédominant.

L'état, parce que la démocratie me semble toujours le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres. Malgré ses dysfonctionnements multiples, c'est probablement le seul système capable de faire advenir l'égalité entre les humains. Et les outils de contribution numérique, utilisés avec sincérité, pourraient nous permettre de nous approcher d'une démocratie réellement fonctionnelle.

Le marché, parce que la libre entreprise donne d'excellents résultats dans de nombreux domaines, notamment liés à l'innovation et à la futilité, et qu'elle incarne une forme de liberté. Cette libre entreprise doit être strictement subordonnée au droit, payer ses impôts sans possibilité d'évasion fiscale, et être comptable de son impact écologique et social. Terminé, le "Private Profit, Public Loss".

Les communs, parce que les choses importantes (santé, éducation...) doivent être gérées sur le temps long, sans notion de concurrence. C'est la condition nécessaire de la fraternité et de la solidarité. Les structures coopératives (SCOP, SCIC...), associatives, les tiers-lieux portent déjà ce troisième pan, avec plus ou moins d'efficacité.

Ce nouveau système politique, ou plutôt méta-système, est déjà en train de se mettre en place. Mais les profiteurs du capitalisme, par bêtise, par cynisme ou par pragmatisme, luttent de toutes leurs forces pour l'empêcher. La droite française, d'Emmanuel Macron à Marine Le Pen, nous contraint par son incapacité intellectuelle et son conservatisme, à rester à bord d'un navire qui sombre. Les Dassault, Bolloré et autres Drahi ont acheté des médias "d'information" pour maintenir la pensée en état de mort cérébrale. Free your mind and the rest will follow, pourrait-on espérer ! Mais malheureusement la gauche française, du socialisme mou aux insoumis, en passant par les trop nombreux mouvements écologistes, n'est pas à la hauteur des enjeux. Elle est maladroite, comme son nom l'indique.

En attendant d'être représentées et représentés correctement sur le champ politique, il me semble que nous devons nous concentrer sur deux grands chantiers : prendre soin de l'état et développer les communs, sur le terrain, très concrètement.

Sources

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Arnaud Levy

Co-fondateur de la coopérative noesya, développeur. Maître de conférences associé et directeur des études du Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) Métiers du Multimédia et de l'Internet (MMI) à l'Université Bordeaux Montaigne. Chercheur associé au laboratoire de recherche MICA. Référent Approche par Compétences (APC) auprès de l’ADIUT.