En réponse à Antoine Poincaré

Nous avons eu quelques échanges sur LinkedIn, Antoine et moi, qui nécessitent une réponse construite. Antoine est VP Climate School @ AXA Climate. Erratum : je me suis trompé sur un certain nombre de points, erratum en fin d’article.

La position d’Antoine

AXA est effectivement encore impliqué dans un certains nombre de projet pétrolier et gazier avec certaines restrictions. A titre personnel je forme le souhait que nous sortions au plus vite des énergies fossiles en tant que société, c'est un sujet complexe qui aura des répercussions économiques et sociales significatives à prendre en compte (il suffit de voir l'hiver qui nous attend). Toujours à titre personnel je pense que les entreprises seront impliquées évidemment mais qu'il serait sain que les Etats jouent leur rôle à plein dans la planification de la sortie des fossiles (pour les raisons sociales mentionnées ci dessus) et ne se contente pas d'accompagner. Par ailleurs un certains nombres d'acteurs sont en train de bouger sur leurs politiques d'exclusion certains peu exposés aux fossiles (La Banque Postale, Lloyds) certains beaucoup plus comme Allianz. Je pense que ce mouvement est sain et il est aussi le résultat du travail de long terme d'un certain nombre d'associations (notamment Reclaim Finance) que je salue au passage.

En ce qui me concerne il y a des décisions que j'applaudis des deux mains (comme sur la déforestation) et d'autres où je souhaiterai des évolutions rapides (comme sur le fossile).

Vient ensuite le sujet de mon travail (qui n'est pas de décider des politiques d'exclusion d'AXA) : j'essaye au quotidien de fabrique des contenus de formation pour faire prendre conscience au plus grand nombre de l'immensité de la tache qui s'annonce (sur la transition durable) afin que nous puissions collectivement nous organiser. Ce sont ces cours que vous aviez qualifié de gadget de communication sans, je crois, les avoir vu la dernière fois. Si vous en avez vu certains et si vous souhaitez qu'on en parle je suis pour le coup à votre entière disposition jusqu'au moindre détail de la moindre vidéo, c'est mon métier. Ils ne sont évidemment pas parfait et justement je crois que les regards croisés nous permettront de les améliorer.

Et un dernier mot, je trouve normal - et nécessaire - que les citoyens interpellent les entreprises et les politiques pour agir plus vite. Je crois aussi qu'à titre personnel vous et moi on essaye de ramer dans le même sens sur ce sujet, autant nous entraider.

Sur la position d’AXA

Il faut distinguer 2 cas : le financement de projets pétroliers et gaziers déjà entamés, qui font l'objet de contrats devant être honorés, et le financement de nouveaux projets. L'interpellation d'AXA par Elise Lucet et Lucie Pinson porte sur ce dernier cas.

La science est catégorique, il ne faut plus développer de nouveaux projets pétroliers et gaziers

Lucie PinsonReclaim Finance

La position d'Axa est très claire : on va quand même continuer à financer de nouveaux projets (rapport à l'argent...).

Nous considérons que nous devons accompagner cette transition énergétique [mais] nous devons continuer à utiliser des énergies fossiles, sinon l’économie s’arrêterait

Denis DuvernePrésident d’Axa

Et l'argument consistant à reporter la faute sur le législateur est un peu facile, d'autant plus quand on dépense 500 k€ par an en lobbying (officiellement). Soit les entreprises prennent leurs responsabilités, soit elles ne les prennent pas. Les prendre, dans ce cas, c'est se désengager fermement des énergies fossiles, en ne finançant plus de nouveaux projets. C'est assez simple.

Sur la Climate School

L'idée de former sur les enjeux climatiques est évidemment bonne, et le fait qu'AXA consacre des budgets à cette fin est une bonne nouvelle. Là où la situation est problématique, c'est que ces formations sont payantes, et fermées. Concrètement, le MOOC de l'Institut du Numérique Responsable est gratuit et ouvert. Le MOOC de l'INRIA sur les impacts environnementaux du numérique est gratuit et ouvert. Le MOOC de l'ANSSI sur la cybersécurité est gratuit et ouvert. Le MOOC sur le climat de l'Université de Liège est gratuit et ouvert. Etc.

Antoine et moi en avons parlé parce que la Climate School souhaitait intervenir pendant "Reboot !", l'événement étudiant de la communication responsable. Cet événement, dont je suis co-fondateur, est entièrement gratuit et ouvert. À part une bande annonce de 2 minutes et un résumé d'un rapport du GIEC, la Climate School n'avait rien à partager gratuitement.

À cette occasion j'ai réalisé qu'AXA tentait de transformer un centre de coûts en un centre de profits. Non seulement les contenus ne sont pas ouverts et partagés (en creative commons ou en open source), mais l'entreprise construit une offre commerciale de formation à destination des entreprises. AXA ne considère pas avoir une dette vis-à-vis du monde, comme ce serait le cas en comptabilité CARE, du fait des nombreux projets toxiques qu'elle a pu financer, et qu'elle finance encore. Au contraire, AXA considère le changement climatique comme une opportunité commerciale, une sorte de diversification de son offre, présentant en plus un intérêt en termes de RSE.

Parce qu'avec la Climate School, AXA communique sur sa grande implication dans la transition écologique, en prenant appui sur le nombre de personnes formées (90.000 dans mon souvenir, sachant qu'AXA compte 149.000 employés). Étant donné que l'offre est composée de différents modules d'e-learning, dont des micro-learnings de quelques minutes, que veut dire "formé" ? Ça me rappelle cette vidéo (crédit : Jonathan Pottiez)...

Sur la posture personnelle

Je crois que nous avons des convictions communes, mais que nous ne les vivons pas de la même façon : l'un en insider, l'autre en outsider. Les deux sont respectables.

On peut se dire que chaque vidéo d'e-learning vue est un petit pas vers la transformation de l'intérieur de l'organisation. Je n'y crois pas. C'est un anesthésiant à la dissonance cognitive, qui permet de continuer le business as usual en se donnant bonne conscience. AXA est une société internationale cotée en bourse, avec des actionnaires qui jugent sa performance financière. Toutes les décisions importantes seront prises dans le sens de la maximisation du profit court terme, c'est structurel. Et si la loi ne force pas les entreprises toxiques à stopper leurs comportements délétères, la seule solution est de les quitter, à la fois en tant que consommateur (changer d'assureur) et en tant qu'employé (changer d'employeur).

En termes de communication, chacun est dans son rôle : l'insider est utilisé par l'organisation afin de redorer l'image, en insistant sur toutes les actions positives (sans toucher au business model). Cela marche d'autant mieux que l'insider est sincère ! L'outsider refuse cette manipulation sémiotique, et ramène les faits : on ne répare pas la planète avec des formations en ligne payantes. En revanche, on peut contribuer à des organisations régénératrices, démocratiques, compatibles avec une société post-croissance. Il y a plein de SCIC, de SCOP ou d'autres types d'organisations qui auraient bien besoin que tous ces insiders se décident à sortir et à venir contribuer à un monde plus équilibré !

En attendant, on peut boire un café, avec plaisir.

Erratum

Pendant un échange très sympathique (sans café), Antoine a gentiment répondu à mes questions et m'a expliqué un certain nombre de points que j'avais mal compris.

Sur la gratuité des contenus : le modèle est payant pour les entreprises, gratuit pour les particuliers. Sur le site Web - lien externe, il faut cliquer sur "Essai gratuit", qui n'est en fait pas un essai mais un accès complet. Tout le monde peut se former !

Sur l'ouverture des contenus : la licence n'est en fait pas définie à date, c'est un chantier de l'année à venir. L'équipe s'est concentrée sur la production du contenu, la question de la propriété sur le plan juridique n'a simplement pas encore été traitée. Le projet est de publier les grains pédagogiques sous une licence libre, peut-être Creative Commons.

Sur le cynisme de la démarche : le financement par les entreprises a permis de produire des contenus de qualité, filmés en plusieurs langues, et de négocier un prix global pour le système de formation (Learning Management System, LMS). L'expérience peut être vendue avec le LMS, ou en marque blanche en exportant les contenus pédagogiques au format SCORM.

Sur le statut de l'entreprise : AXA Climate est un renommage d'une filiale dédiée à l'assurance paramétrique, qui est une sorte d'assurance appuyée sur un paramètre mesurable. Par exemple, au lieu d'évaluer les dégâts causés par une canicule, on fixe une indemnisation correspondant à une température atteinte. Ce mode de fonctionnement est pertinent pour les risques climatiques, d'où le rebranding. La Climate School est une partie d'AXA Climate, qui vient compléter une offre d'assurance par une offre de formation.

Merci Antoine, et toutes mes excuses !

Sources

Ce site est produit par

Arnaud Levy

Co-fondateur de la coopérative noesya, développeur. Maître de conférences associé et directeur des études du Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) Métiers du Multimédia et de l'Internet (MMI) à l'Université Bordeaux Montaigne. Chercheur associé au laboratoire de recherche MICA. Référent Approche par Compétences (APC) auprès de l’ADIUT.