Concrètement, vous pouvez rejoindre des SCOP, des SCIC, des organisations de l'ESS, mais vous pouvez aussi en créer, ou transformer des structures obsolètes en coopératives ! Chez noesya, la SCOP que j'ai co-fondée, nous venons de finir notre premier exercice fiscal et ça confirme toutes mes intuitions : ce statut est formidable, c'est le véhicule juridique idéal pour une entreprise moderne et responsable, telle qu'elle devrait toujours être. C'est notamment un cadre parfait pour penser l'entreprise de façon durable, en considérant son triple bilan : écologique, sociétal et économique (people, planet, profit). Changer d'entreprise (ou changer l'entreprise) ne va pas nous tenir chaud cet hiver (ou peut-être seulement chaud au cœur), mais cela permet d'accélérer la bascule vers une économie saine.
Si vous ne souhaitez pas suivre cette voie, il y a aussi le "quiet quitting". L'idée est simple et pas nouvelle : lever le pied. Plus ou moins haut. Vous restez en poste et vous vous occupez de sujets plus importants que votre bullshit job, comme par exemple votre famille, vos proches, l'isolation du salon, le potager, le tricot, la vie associative, la démocratie locale, les actions militantes...
Si mon intuition est juste, entre le froid, la faim et le mépris des plus pauvres, nous allons vivre un soulèvement social de grande ampleur. Bien entendu, la confrontation violente n'est pas souhaitable, mais elle me semble inéluctable. Il me paraît tout aussi clair que le gouvernement pliera : des enfants et des personnes âgées en grande détresse, dans des appartements glacés, en manque de nourriture et d'eau, ce n'est ni acceptable ni négociable, il ne sera pas possible de détourner l'attention avec des "en même temps" ou des "les super-profits, je ne sais pas ce que c'est". Cela ouvrira probablement une fenêtre de conquête sociale et écologique, un moment d'augmentation des possibles. Il s'agit donc de réfléchir aux revendications pertinentes pour agir vite, fort, et transformer durablement notre société dysfonctionnelle. Voilà quelques idées concrètes.
En ce qui concerne les évolutions sociétales de l'entreprise, et à défaut de pouvoir imposer rapidement une comptabilité en triple capital, nous pourrions exiger une taxe sur la toxicité des entreprises, appuyée par exemple sur la quantité de burn-outs dans l'année, en partant du principe qu'une entreprise est toujours responsable de l'épuisement de son ou sa salarié·e. Sur la base de 30.000 cas par an, si on facturait le burn-out à l'entreprise qui l'a généré, par exemple 10.000 € par personne déclarée dans l'année, on bénéficierait de 300 millions d'euros qui inciteraient sérieusement les entreprises à faire plus attention à leurs équipes. On pourrait ajouter une mesure du niveau de turnover, qui me semble un bon indicateur de santé psychologique au sein d'une organisation. Au-delà du seuil de 15% de turnover annuel (le taux moyen), on taxe le point supplémentaire, et chaque année, on remet à jour le seuil s'il baisse. On pourrait aussi déplafonner les indemnités payées aux Prud'hommes, dont le montant faible incite les entreprises à mépriser le droit du travail et ajouter une taxe de mauvaise conduite du même montant. Sauf erreur d'analyse des travaux de Claudine Desrieux et Romain Espinosa cités en référence (en fin d'article), sur le seul mois de septembre 2017, 1.468 cas ont été tranchés en faveur des salariés avec une moyenne de 8.912 €, soit un total de plus de 13 millions d'euros. Si la projection sur l'année est juste, cela fait plus de 150 millions d'euros d'entrées fiscales, présentant en plus une bonne valeur pédagogique pour éduquer les entreprises mal-comprenantes. Une autre action possible, sur le Web cette fois, consisterait à appliquer les amendes pour non respect du Référentiel Général d'Amélioration de l'Accessibilité. Les entreprises avec un chiffre d'affaires (CA) de plus de 250 millions d'euros par an sont dans l'obligation d'auditer l'accessibilité de leur site, sans quoi elles encourent une amende allant jusqu'à 25.000 €. On ne parle même pas de mettre en conformité l'ensemble du site, la loi tolère que la conformité soit partielle. On parle juste de traiter comme des citoyens de plein droit les 12 millions de personnes en situation de handicap en France. Les 1.000 plus grosses entreprises de France sont concernées, et bien d'autres (la millième, Lactel, a plus de 500 millions d'euros de CA, ça en fait beaucoup d'autres mais je ne trouve pas le chiffre exact). Chacune de ces entreprises opère de nombreux sites Web, dont une (petite) partie est déjà conforme, difficile donc de dégager un ordre de grandeur des rentrées financières possibles. On pourrait imaginer une amende encore plus pédagogique, en permettant la première fois seulement de suspendre le paiement à la mise en conformité dans l'année. Le montant de l'amende paierait le prix de l'audit (entre 2.500 et 5.000 €) et le reste c'est cadeau pour améliorer effectivement l'accessibilité ! Si ce n'est pas fait au bout d'un an, en revanche, on récupère l'amende non payée, et on prélève de nouveau pour l'année supplémentaire non conforme. On gagne, ou on gagne.
Pour les évolutions écologiques des entreprises, et de la société dans son ensemble, la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) a déjà fait le travail, tout est prêt ! 149 propositions, il ne manque plus que du courage politique. Peut-être que le froid en donnera à nos représentants ? Pour le marché de la communication, même chose avec la proposition de loi de 2020 portée par Matthieu Orphelin : interdiction des nouveaux écrans en ville, de la lecture automatique pour les publicités vidéos sur le Web, de l'incitation à la surconsommation, restriction de la pub sur les SUV et sur l'ensemble des produits à fort impact environnemental, il n'y a plus qu'à voter, et à mettre en application avec détermination.
Enfin, pour une gestion plus équitable des profits, la première chose est le delta de salaire. Cécile Renouard et Gaël Giraud proposent le facteur 12. Concrètement, ça veut dire que si une entreprise rémunère des gens au Smic, le salaire maximal possible est de 15.948 € nets par mois. Vous allez me dire qu'avec ça, on vit correctement, mais on a du mal à recruter un PDG pour EDF à 450.000 € bruts annuels, ce qui signifie 28.125 € nets. La moyenne des rémunérations des patrons du CAC 40 en 2021 est de 453 Smic, soit 602.037 € par mois. C'est beaucoup. Donc l'écart 12, c'est peut-être un peu jésuite, mais moi je trouve ça bien. Chez noesya, le delta est de 3. Et il y a un truc incroyable avec les ratios, c'est qu'il suffit d'augmenter le bas pour faire monter le haut ! Notre grille de salaires commence à 3.000 € bruts et finit à 9.000 € bruts, en théorie. En réalité, on plafonne à 7.000 € bruts, parce que c'est notre premier exercice fiscal et que nous sommes prudents. Un delta 12, c'est la révolution. Un delta 20 ou 30, c'est juste un peu de décence. Ensuite on peut plafonner légalement les dividendes et les conditionner à d'autres mesures sociales ou écologiques. Par exemple, pas de dividende à verser si on a payé la taxe sur les entreprises toxiques, ou si on a contribué à la destruction de l'environnement. On peut aussi exiger la fin de l'évasion fiscale, qui semble nous coûter entre 30 et 80 milliards d'euros par an. Je ne sais pas la faisabilité technique, mais les montants sont significatifs, et j'imagine que c'est encore une fois une question de courage politique. Nous pourrions exiger l'arrêt du CICE, épinglé par la cour des comptes pour son inefficacité. 20,1 milliards en 2019, c'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup. Une dernière mesure pour transformer la gestion des profits dans les entreprises serait de rendre obligatoire la présence de salariées et salariés dans les conseils d'administration et les instances de décision de toutes les entreprises, à hauteur de 50%. La terre appartient à celles et ceux qui la travaillent.
Hors du terrain des entreprises, voilà quelques revendications. D'abord, un impôt sur le revenu progressif, avec un taux maximum à 90%, comme Roosevelt pendant le New Deal en 1930. Après tout, nous ne luttons pas pour sauver l'économie américaine, mais la vie humaine sur Terre. Ça semble au moins aussi sérieux, non ? L'excellent calculateur de réforme fiscale de Landais, Piketty et Saez est toujours en ligne, faites vos jeux, rien ne va plus. L'autre facteur majeur d'inégalités, c'est l'héritage. Pour cela, Thomas Piketty propose une solution forte : une somme de 120.000 euros pour chaque Française et chaque Français à l'âge de la majorité. Et pour le financer, on taxe les plus riches, ce qui lisse les patrimoines et matrimoines, et on fixe un maximum légal aux sommes héritées. Enfin, une formidable revendication est portée par Benoit Huet et Julia Cagé : une presse libre ! Que ce soit par les "Bons pour l'indépendance des médias" ou par de meilleures méthodes de gouvernance, une presse autonome, plurielle et engagée serait un formidable gain démocratique.